1583, Nov.17/27 |
“J'ay jusques à ceste heure attendu que l'on vous fit responce, veoiant la longueur, autres soupçonnant que par autre voie l'on vous ait faict sçavoir des nouvelles a esté cause que je ne me suis randu importun, aussy que je suis soupçonné non d'ambrasser ce qui touche vostre estat, mais d'aimer et d'honnorer vostre belle Maté autant que je fais chose de ce monde, et plus je veois en avant seullement à vous vous ressamblez, voillà pourquoy j'en feray autant de gloire cornme les autres d'user d'ingratitude, certes à bon droict, il deveroit estre dedans le cathéchisme vice, maintenant par trop coustumier, estant tenu pour le plus habille celluy qui trompe son compagnon. Nous ne pouvons devenir saiges par l'exemple du passé, et si nous eussions eu toutes les bonnes fortuues, nous ne viverions autrement (nos numeri sumus et frnges consumere nati). Or pour venir au conte, j'estime que vous aurez entendu comme la royne partit trésmal satisfaicte d'icy, pour ne nous pouvoir mener à la court, ne voulant y aller son A[ltesse] que, au préallable, il ne luy fut permis de faire porter harquebuses à ses guardes ordinaires. Le roy, par honnestes lettres depuis, l'a fort pryé de ne s'arrester là, et de venir. Jusques à ceste heure il s'en est defendu, et n'a aucune intention d'y aller, pour beaucoup de raisons que le papier ne peut reçeveoir, et lesquelles j'ay autresfoys eu cest honneur que de discourir aveq vous. Ils nous randent les plus nécessiteux dont ils se peuvent adviser pour nous y forcer. Nous laisserons passer louer icy en faisant les nopces d'Aurilly et de la fille de Fervaques, en attendant la primivère où je puis asseurer vostre Maté son A[ltesse] estre preste à faire la guerre, s'il a aucun moyen de ce faire. Le sieur de Gogny est venu pour la seconde foys, demande la ville de Cambray et la citadelle, que volontiers en ce faisant le prince de Parme accordera la paix. L'on a faict courrir le bruict que son A[ltesse] voulloit vandre ledict Cambrav xijc mil escus. Ne croies, je vous supplye, qu'il ait le cueur si failly; de moy, j'ay prononce tout haut qu'il n'avoit pas de plus grant ennemy
que celluy qui luy conseilleroit, ny plus grant trahitre à l'estat, pource l'on demande seullement la trève pour ung an, ou que le roy ayde à payer la guarnison de Cambray, affin qu'il ne succède mal de ceste place. Il touscbe à vostre Maté qui n'a rien au cueur, j'entensleroy d'Espaigne, qu'à se vanger de vous. Ses siens le disent tout à toutes heures, et n'espargne rien affin de essayer à distvaire son A[ltesse] de vostre amitié, jusques à luy faire soubs main offrir l'Infante aux prétentions, sans luy rien donner pour le présent. Pource je sçay qu'il se sont vantés de donner plus au Maal de Montmorency pour brouiller. le Languedoc, que n'on faict vostre Maté et le roy pour brouiller la Flandres. Si son A[ltesse] ne change d'opinion, et que leur entre tant de présumption que de vouloir vous faire desplaisir, il est résolu de vous assister de sa personne et de ses moyens, cependant que le roy reforme ses finances et que vous guardes vos trésors. Le roy d'Espaigne soubs main pratique les subjects de l'ung et l'autre estat, et ne doubtes nullement que, si l'on luy laisse couler l'année qui vient, que la Flandres sera bien esbraulée, et, s'il n'a guerre contre le due, il voudra employer son armée navalle. Vous me pardonnes si l'affection me faict parler de ceste façon, n'estant plus de besoing d'irriter ce prince ains d'aviser à luy faire une bonne guerre; aussy qu'il ne sera pas possible que ce prince ce puisse paseer ung an sans faire quelque chose; son naturel ne peut estre oisif. Aydes-luy de vostre conseil, et advises ce qui est nécessaire pour vostre conservation et pour sa grandeur. Vostre Maté se joigne ensemble aveq le roy pour adviser aux moyens, sans faire une levée de boucliers, et perdre le temps et l'argent. Rien ne me induict à ce discours; vostre seul respect, l'amitié que portes au moyne, le vœu d'obéissance, et la continuation de mon très-humble service. Vous pouvez, Madame, aussy tenir la main pour nostre paix, nos guerres civilles, mesmes en Grascogne ne pouvant rien apporter que pour faire les affaires du Roy d'Espaigne. Ce qui se passe à la court, je m'asseure que Monsieur de Boysdauphin vous en advertira quant au particulier de vostre moyne. Si la bonne chère, si l'apparence, si les parolles, doibvent contanter, certes j'ay occasion de l'estre. Si vous qu'il soit à propos me mander quelque chose, je ne faudray de parler aveq la mesme vérité et liberté que j'ay faict, aimant mieulx et la personne de mon me et sa grandeur que tant et tant de flateurs. Quoy qu'il est, croies que éternellement je vous serviray, que jamais ceste servitude ne mourra. Pryant Dieu, après avoir baisé en toute humilité et ses belles mains, et cest allambic de violletes, je prieray Dieu vous donner tout l'heur et désir de vostre Maté. De Château-Thierry, ce xxvij jour de Novembre, 1583.” |